Notre futur passe par les légumineuses
Par Françoise Blind Kempinski (avec Sophie Stadler) Publié le 20/04 à 18h34 l Modifié le 21/04 à 10h21 Excellentes pour la santé, recommandées pour la planète, plébiscitées par les politiques : les légumineuses ont tout bon. Reste à les faire apprécier des Français. ![]() Car si les légumineuses sont plutôt bien identifiées, le consommateur ignore à peu près tout de leurs énormes qualités. Dans leur grande majorité, elles sont pauvres en matières grasses, riches en fibres, et leur haute teneur en protéines ‑ de 20 à 40 % ‑ (voir le panorama des sources de protéines) leur confère un statut idéal pour se substituer aux produits carnés. Certaines études scientifiques les présentent aussi comme contribuant à la prévention du diabète, des maladies cardio-vasculaires, de l’obésité et de certains cancers. ![]() Moins de 15 % des adultes sont consommateursAu sein de l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), les chercheurs ont calculé que, sans modifier drastiquement les habitudes des Français, il suffirait d’augmenter notre consommation de fruits et légumes de 350 à 500 grammes et de diminuer celle du groupe « viande, poissons, œufs » de 140 à 90 grammes par jour pour réduire l’impact carbone de notre alimentation de 30 à 40 %. On imagine l’impact si les légumineuses gagnaient en part de marché ! Pourtant, avec tous leurs bienfaits, elles ne font pas partie des plats favoris des Français : moins de 15 % des adultes déclarent en consommer. Peut-être parce que ceux-ci en ignorent toute la diversité : ces plantes, dont les fruits sont des gousses emplies de graines, comptent plus de 600 variétés et… 18.000 espèces. Mais, surtout, en raison de la course au temps : il faut les faire tremper une nuit durant avant de les cuisiner et les faire cuire longtemps. C’est ce protocole qui permet d’éliminer les sucres appelés alpha-galactosides qui rendent leur digestion parfois difficile. Des laboratoires de tout premier plan se sont emparés du sujet pour trouver des solutions, avec comme objectif d’intensifier la consommation des légumineuses. En partant quasiment de zéro : en France, les produits animaux représentent environ 50 % de l’apport protéique (viandes, poissons, œufs) et les produits végétaux 30 %. Dans cette proportion, les légumineuses ne comptent que pour 1 % (voir les sources de protéines). ![]() Au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), Christian Mestres, ingénieur de recherche, œuvre depuis déjà cinq ans à rendre les légumineuses plus attractives. « Nous cherchons de nouvelles méthodes de trempage et de cuisson permettant d’éliminer les alpha-galactosides tout en préservant le goût et les propriétés nutritives, principalement la vitamine B9. » D’ici à deux ans, le laboratoire espère ainsi faire aboutir une démarche menée avec l’industriel SEB qui pourrait se concrétiser par le lancement d’un autocuiseur résolvant le problème. Le Cirad travaille également sur une autre voie, la germination de ces graines. La technique a un double intérêt nutritionnel : elle accroît la teneur en vitamines et elle élimine les encombrants alpha-galactosides. L’idée consisterait alors à proposer au consommateur des graines prégermées, ce qui serait invisible à l’œil nu. Un partage du monde à revoirArnaud Rousseau est le président de la FOP (Fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux) et président du groupe Avril. Lui aussi veut croire au développement des légumineuses, mais désespère un peu : « Ce sujet est un serpent de mer et il faut des évènements comme le Covid-19 pour se rendre à nouveau compte de l’impérieuse nécessité de développer des marchés de proximité. » Depuis les années 1960 prévaut un partage du monde accordant au continent américain la production de protéines végétales (soja, colza) et à l’Europe, celle de l’amidon (blé, céréales). Ces accords avaient été conclus dans le cadre des négociations commerciales du GATT (accord général sur les tarifs douaniers et le commerce). Le premier gros couac est survenu en 1973, lorsque les Etats-Unis ont suspendu leurs exportations de soja en raison d’une sécheresse sans précédent. L’année d’après, la France lançait son premier plan protéines français. ![]() Lors du G7 de l’été 2019, le président Emmanuel Macron a ressorti la rengaine : « On doit recréer la souveraineté protéinique. L’Europe doit être capable de produire ses propres protéines, pour elle-même, pour consommer, comme pour les éleveurs. » Il a repris ce thème lors de son allocution annonçant la mise en place du confinement pour enrayer la pandémie de Covid-19. Car avec la crise sanitaire actuelle qui pourrait générer des mesures d’embargo alimentaires et freine les échanges mondiaux, à laquelle s’ajoute la multiplication des événements climatiques extrêmes qui fragilisent les récoltes dans le monde, le sujet est plus que jamais à l’ordre du jour. En France, sur un total de près de 14 millions d’hectares consacrés aux grandes cultures, les oléagineux (dont le soja) en absorbent 15,3 %, les légumes secs (lentilles, pois chiches) 0,5 % et les protéagineux (pois, féveroles, lupins) 1,7 % (voir graphique). Les premières légumineuses produites dans l’Hexagone sont, en fonction des années, le pois ou le soja. ![]() en protéines végétalesL’autonomie globale en protéine végétale de la France est de l’ordre de 55 %, à comparer à un taux moyen européen de 35 %, lequel varie grandement en fonction des sources de protéines (elle est de 5 % seulement pour le soja). En 2019, le gouvernement français a demandé aux différents acteurs de lui faire des propositions pour accroître cette autonomie. Terres Univia(l’interprofession des huiles et protéines végétales) a mobilisé toutes les filières productrices, mais aussi utilisatrices, pour aboutir à des propositions. L’objectif présenté comme raisonnable serait, d’ici à 2028, de viser une amélioration de 10 % de la souveraineté en protéines végétales destinées à l’alimentation animale, pour atteindre un taux de 64 %. Pour l’alimentation humaine, le plan vise 100 % contre 50 % aujourd’hui. En termes de variétés, les lentilles sont le produit le plus vendu (50 %) devant les haricots (27 %) et le pois (22 %). Bien qu’en forte progression, la part du bio reste faible dans les ventes sur le marché français : 6 % en lentilles vertes et 3 % en pois chiches. Le « plan 100 % » vise à mettre un terme aux importations : 72.000 tonnes chaque année, majoritairement en provenance du Canada et des USA où les cultures riment avec OGM et glyphosate. Pour atteindre ces niveaux, la France devrait consacrer au total 430.000 hectares de plus aux légumineuses, soit doubler la surface actuelle. La répartition serait la suivante : La culture des légumes secs (haricots, pois chiches, lentilles) gagnerait 30.000 hectares pour atteindre un total de 90.000 hectares. Ceux-ci sont exclusivement à usage humain. La surface des protéagineux (pois, féveroles et lupins) devrait être plus que doublée avec 215.000 hectares supplémentaires. Au total, 430.000 hectares seraient mobilisés dont 52 % dédiés à l’alimentation humaine. Les surfaces consacrées au soja devraient elle aussi doubler pour atteindre 300.000 hectares, contre 140.000 hectares aujourd’hui, dont 20 % en bio. Environ 23 % du total du soja serait consacré à l’alimentation humaine. Enfin, la luzerne déshydratée, à usage animal, conquerrait 5.000 hectares pour un total de 90.000 hectares. ![]() Réduire la dépendance pour l’alimentation animaleEn revanche, vouloir atteindre l’autonomie protéique pour l’animal demeure illusoire. « Déjà pour le soja, il faudrait presque 1,5 million d’hectares pour couvrir les 3,5 millions de tonnes de tourteaux importées, soit 4,4 millions de graines. Le soja représenterait alors 11 % des surfaces de grandes cultures… Ce qui est proche des surfaces de légumineuses au Canada… » détaille Corinne Peyronnet, ingénieure d’études alimentation animale chez Terres Univia. « De toute façon, je suis hostile au terme “autonomie”, l’ambition doit être de réduire la dépendance, restons réalistes ! Maintenant, il faut savoir de combien et dans quels délais, et raisonner à l’échelle du continent européen, pas seulement française », témoigne Arnaud Rousseau. A l’échelle européenne, l’équivalent de 30 millions de tonnes de graines de soja est importé chaque année, dont 87 % sont affectés à la nourriture animale. Le paradoxe veut que l’Europe, qui refuse de cultiver sur son sol des OGM, nourrisse ses animaux avec du soja génétiquement modifié, provenant majoritairement du Brésil et contribuant à la déforestation. ![]() Bénéfiques pour les humains et la planète, et politiquement désirables, les légumineuses ont donc tout pour plaire. Reste à convaincre les agriculteurs d’adhérer à la feuille de route. Moins d’engrais, des sols mieux fertilisés« Le 1er sujet, c’est le revenu que la plante permet d’extérioriser, le second tient à la gestion agronomique des entrants, de la qualité des sols, et de la rotation des cultures », résume Arnaud Rousseau. Concernant la gestion agronomique, les légumineuses ont bien des atouts. Ce sont des plantes qui contribuent à la fixation de l’azote, qui est l’un des principaux composants des protéines et un nutriment nécessaire aux plantes. Elles renferment des bactéries symbiotiques appelées « rhizobiums » dans des nodosités situées dans leurs systèmes racinaires, produisant des composés azotés. Ainsi, dans la rotation des cultures, les légumineuses réduisent généralement les besoins en engrais azotés minéraux et organiques, qui contribuent à 25 % du total des émissions directes de gaz à effet de serre de l’agriculture dans l’U.E. ![]() En revanche, et c’est leur problème majeur, les revenus générés par les légumineuses sont erratiques et inférieurs à ceux des céréales. Notamment car elles sont très sensibles aux maladies, aux ravageurs et aux aléas météorologiques. Le manque de sélection dans les variétés, les faibles connaissances agronomiques et la coopération insuffisante entre les agriculteurs et d’autres acteurs participent de ce peu d’entrain à faire pousser ces plantes. « La culture des légumineuses ne permet pas un équilibre économique car nous n’avons pas de filière pour créer de la valeur », prévient Arnaud Rousseau. Pourtant, le sujet est au centre de bien des projets. Partir des attentes des consommateursEn partenariat avec l’Inrae, la société Valorex travaille à créer des filières locales de plantes riches en protéines (lupin, pois, lin et féverole) pour remplacer le soja d’importation. Plutôt dédiées à l’alimentation animale, ces expérimentations ont donné naissance en 2015 au projet Proleval. « Au total, 17 millions d’euros ont été investis dans cette recherche, expliquent Guillaume Chesneau de Valorex et Hervé Juin de l’Inrae. L’un des enjeux était de trouver les nouveaux process technologiques pour améliorer les rendements. Ce projet a aussi permis de démontrer qu’il fallait que les régions se dotent d’ateliers de cuisson des légumineuses cultivées sur place afin de les rendre plus digestes pour les animaux. Les coopératives doivent aussi disposer de silos dédiés à chaque type de graine et de camions de transports. » ![]() Mais, pour Arnaud Rousseau, il faut aller encore plus loin : « Il faut partir des attentes des consommateurs, déterminer un cahier des charges pour les producteurs, raconter les vertus du produit et assurer une traçabilité », assène-t-il. C’est exactement l’approche que privilégie un plan d’envergure mené à Dijon, sous l’égide de Dijon Métropole. Pour réconcilier les intérêts du consommateur et du producteur, des forces académiques (au premier chef, l’Inrae), économiques et territoriales se sont associées. Le projet TI Alimentation Durable 2030, lauréat des Territoires d’Innovation ‑ initiative lancée par le Premier ministre fin 2019 ‑, dispose de 47 millions d’euros pour constituer une logique de filière à l’échelle du Grand Dijon et de ses 300 communes. La clé, c’est le label« Notre stratégie consiste à développer le mieux manger pour promouvoir le mieux produire et initier un cercle vertueux, explique Philippe Lemanceau, directeur scientifique du projet. En augmentant la consommation de légumineuses, nous favorisons une transition agroécologique et alimentaire bénéfique pour l’environnement, pour l’économie et pour le social. D’un côté, les citoyens vont mieux s’alimenter et vivre dans un environnement de meilleure qualité et de l’autre côté, les agriculteurs vont pouvoir bénéficier d’une rétribution accrue et jouir d’une meilleure considération sociale. » La clé pour y arriver réside dans la création d’un label « Dijon Agroécologie » qui certifiera l’origine locale des produits, leurs qualités nutritionnelle, sanitaire (faibles résidus de pesticides), gustative et environnementale. Plusieurs filières sont concernées : les légumineuses, bien sûr, mais aussi le pain, les légumes, la viande bovine, puisque la vocation est de transformer tout le territoire d’ici à 2030. ![]() Du côté des producteurs, deux unités de transformation locales, l’une dédiée aux protéines à usage humain et l’autre aux protéines à usage animal, seront construites sous l’égide de la coopérative Dijon Céréales. Le développement de la culture des légumineuses pour alimenter le bétail et éviter la consommation de soja OGM importé participera aussi pleinement à l’assainissement des sols et à l’augmentation de la qualité de la viande. Elever le niveau d’exigenceIl faudra encore attendre un peu pour évaluer les bienfaits de cet engagement agrobiologique de tout un territoire, auquel pas un acteur ne semble pouvoir échapper ! Une expérience qui devrait en inspirer d’autres avec un mot d’ordre : privilégier le local. ![]()
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AuteurLes ACANTHES&PROVENCE, propriété située au coeur de la Provence à Saint Rémy de Provence, en Région Paca, propose 3 locations de vacances. La propriété est labellisée Parc Naturel Régional des Alpilles. Archives
Août 2023
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